Y a-t-il un clivage gauche-droite ?

Dessin Castabé

Dessin Castabé« Faire barrage à Hollande », et ce dans tous les domaines, l’économie, l’homosexualité, la culture ou l’immigration, voilà le mot d’ordre de la plupart des mouvances traditionnelles que nous connaissons : des chrétiens, des royalistes, quelques patriotes et d’autres encore peut-être qui se reconnaissent moyennement dans les valeurs de la République révolutionnaire. Pour quel résultat ? Ces courants d’opinion ne pèsent rien, et nous le savons bien, nous qui luttons pour que cela change. Les chrétiens, par exemple, ne comptent pas en tant que tels : ils votent comme les autres et beaucoup ont cessé peu à peu de mêler leur foi avec leurs opinions politiques, même sur les questions éthiques. Tous les libelles catastrophistes, émanant de ce petit monde traditionnel, prédisant un effondrement de la nation française sous le règne du très soviétique François Hollande n’ont absolument pas touché la grande majorité des Français retranchés derrière leur télévision. Même les électeurs du Front national ne s’intéressent guère, pour la majorité d’entre eux, aux grandes questions de société et n’ont d’autre motivation que l’immigration, un vrai sujet, sans aucun doute, mais qui ne résout rien : ce n’est pas avec cela que l’on pourra refonder notre société malade. Toutes les voix traditionnelles et effrayées de nos éditorialistes chrétiens, souverainistes, patriotes et conservateurs de toutes tendances – toutes ces voix qui, à travers quelques sites Internet, journaux sans subvention, radios libres ou tractages militants, posent les vraies questions de société – retentissent malheureusement dans le désert. Cela ne veut pas dire qu’elles doivent se taire, et les nôtres en font partie, mais d’une élection à l’autre le même constat revient : les victoires se gagnent sur des martelages médiatiques de masse, des promotions marketing de candidats “people” et des grands courants d’opinion que les partis politiques, les clubs et les médias entretiennent pour créer des majorités, ou affaiblir leurs adversaires. Nous avons affaire à chaque fois à une lutte titanesque, dans un monde politique fermé, tenu par des oligarchies et une technocratie omnipotentes, qui se disputent âprement les voix qui leur permettront de faire basculer les scrutins. C’est tout un système, auquel nous n’appartenons pas, et c’est ce système qu’il faut faire tomber.

Alors, ne nous trompons pas : le clivage gauche-droite est un faux débat. D‘ailleurs, qui décide que le clivage se situe entre la gauche et la droite, pile à la frontière de l’UMP et du PS ? Les deux bords ont plus de points communs que de différences. Ils sont européistes, même si les uns rêvent d’une Europe fonctionnaire et les autres d’une Europe financière. Ils sont socialistes libéraux, ou libéraux socialistes, selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle. Ils soutiennent ardemment le grand libéralisme qui leur apporte les financements de leurs campagnes et leurs fortunes personnelles. Ils sont matérialistes et font de l’économie le principe et la fin de toute société. Ils professent les uns et les autres une foi inébranlable dans le mythe de la “volonté générale”, dans les oligarchies technocratiques et politiques, et dans la République, bourgeoise ou sans-culotte, selon le cas, et souvent les deux en même temps. Bien sûr, il y a quelques différences. A gauche, une vision marxisante, avec sa lutte des classes et son assistanat de masse, qui rêve de faire de chaque salarié un fonctionnaire et de chaque fonctionnaire un militant. A droite une vision économique plus réaliste, c’est indéniable, et un certain conservatisme sociétal, mais cela ne va guère plus loin. La droite tente bien de remplir les caisses de l’Etat – que la gauche, comme d’habitude, videra pour financer sa clientèle électorale – mais ce sont des caisses percées, dont la droite n’osera jamais colmater les brèches, parce qu’elle doit préserver la paix sociale, indispensable à la prospérité des affaires. Elle est prête à toutes les compromissions pour cela, vis-à-vis d’une gauche qui tient la rue et la presse.

Mais, dans le fond, sur les questions de société, la gauche et la droite, dites libérales, n’ont pas de divergence de vue fondamentale, bien qu’elles se réfèrent à des philosophies politiques distinctes. Pour la droite, c’est le relativisme libéral : la société doit trouver un équilibre et un consensus ; et s’il faut autoriser le mariage homosexuel, pourquoi pas, dès l’instant où la majorité pense que c’est acceptable. Et si elle est réputée “conservatrice”, ce n’est que pour laisser au “bourgeois” le temps de se faire aux idées nouvelles, qui peuvent l’inquiéter de prime abord, avant qu’on lui explique que c’est le sens de l’histoire. A gauche, on est plus révolutionnaire, radical. Il faut saper toutes les structures traditionnelles de la société qui sont, pour le marxiste de base, des carcans dans lequel le peuple s’est laissé enfermer par des générations d’exploiteurs. Au bout du compte, la droite, qui a exercé davantage le pouvoir, il est vrai, en a fait plus que la gauche dans la culture de mort, dans la dégénérescence morale et dans l’affaiblissement de la nation. C’est elle qui a légalisé l’avortement, permis la pilule du lendemain, renoncé à sanctionner l’euthanasie, promu les avancées les plus spectaculaires de l’Européisme, réduit drastiquement les budgets militaires, etc. Alors, non, le clivage ne se situe par pas à la frontière de la gauche et de la droite, parce que, dans le fond, il n’y a pas de clivage de ce côté-là. Il y a un gros ventre mou, avec des extrêmes populistes de part et d’autre, véhiculant chacune une grande vague d’opinion : la crainte de l’immigration invasion d’un côté et le nihilisme révolutionnaire de l’autre. Et d’ailleurs, s’il y avait un vrai clivage gauche-droite, on verrait deux modèles de sociétés radicalement différents s’affronter et le Front national rallierait l’UMP pour faire face aux socialo-communistes. Or, ce n’est pas le cas. Bien sûr, on peut s’imaginer qu’il pourrait bien y avoir deux camps, avec quelques centristes perdus au milieu, le regard fixé vers la girouette des sondages. On a pu même rêver qu’un apport de voix du FN fasse perdre M. Hollande… s’il n’y avait pas eu le mot d’ordre de Mme Le Pen et la détestation que M. Sarkozy a suscitée. Mais cette alliance improbable entre le FN et l’UMP ne serait qu’électorale et ressemblerait au mariage de la carpe et du lapin, entre une droite radicale, populiste et nationaliste, et une droite libérale européiste et affairiste, plus proche du PS à bien des égards, comme nous le remarquions plus haut. Et de toute façon, ne nous aveuglons pas nous-mêmes : il est impossible que le Front national soit autre chose qu’une machine à faire perdre l’UMP, parce que la presse, les intellectuels, les starlettes, les joueurs de foute et tous les faiseurs d’opinion de ce pays sont à gauche. Et la gauche réussit, malgré son désavantage numérique, le tour de force incroyable de rendre impossible une alliance entre le Front national et l’UMP. « Comment se fait-il que la majorité des Français est à droite et que c’est la gauche qui l’emporte » s’indigne-t-on ? Mais parce que la droite est « piégée », pour reprendre l’expression d’Yves-Marie Adeline.

Donc, stop ! Arrêtons de raisonner, ou plutôt de résonner gauche-droite. C’est le système des partis politiques, des oligarchies, ce système élitiste et antipopulaire, qui nous impose ce clivage artificiel. La France a besoin – répétons-le encore et toujours – d’un arbitre au-dessus des factions, d’une autorité réellement souveraine. Elle a également besoin d’une représentation parlementaire équitable et d’une démocratie locale véritable. Finalement, nos voix et celles de ceux qui nous sont proches doivent continuer à s’élever dans le désert, et cette semence portera ses fruits, n’en doutons pas. Mais, pour que le relèvement moral de la France soit possible, il faudra bien qu’il rencontre, un jour, des institutions politiques qui lui permettront d’être et de durer. Alors ne désespérons pas : vive la France et vive le roi !

Bruno Castanier