Ce que l’on appelle l’affaire « DSK » aura provoqué bien des remous et n’est pas prête de cesser d’agiter tout le landerneau mediatico-politique. A droite, l’on feint la consternation quand c’est le soulagement de voir disparaître le rival le plus dangereux pour Nicolas Sarkozy qui prédomine ; à gauche, les sentiments sont plus partagés entre émotions et consternation réelles des partisans et amis du patron du FMI ou jubilation étouffée et masquée pour ses rivaux aux primaires socialistes.
Dans le monde de la presse et des grands médias, l’affaire est passée au premier plan, éclipsant la mort d’Oussama Ben Laden, la cavale du tueur présumé de Nantes ou la colère des associations d’automobilistes et de motards contre les propositions gouvernementales en matière de sécurité routière.
Mais y compris dans le pays réel, les déboires du vieux cadre socialiste ne sont pas restés sans émouvoir l’opinion publique qui, il y a quelque jour, pensait à 56% que « DSK » était victime d’un complot, alors même que l’étau se resserrait de plus en plus dangereusement autour de lui.
Bien entendu, l’objet de ces lignes ne sera pas de déterminer si Dominique Strauss-Kahn est coupable des faits dont il est accusé. C’est à la justice américaine seule de trancher et ni les journalistes ni les politiques n’ont vocation à se substituer à elle. En revanche, et maintenant que l’accès à l’Elysée semble fermé à l’ex homme fort du Fond Monétaire International, l’on pourrait tirer du contexte un ensemble d’enseignements utiles pour comprendre la vie politique actuelle.
L’émoi suscité par l’affaire est surtout dû au fait, et Jean-François Khan, qui s’était fait aussi remarquer pour « l’élégance » de ses prises de position concernant le « troussage de soubrette », n’hésitait pas à la rappeler, que Dominique Strauss-Kahn incarnait pour un grand nombre de Français un « espoir ». Entendez : un certain courant dans l’opinion publique le voyait déjà comme le futur locataire du Palais de l’Elysée, pour en finir avec cinq années de Sakozysme. Selon le directeur de Marianne, si l’affaire a pris une telle ampleur, c’est parce que M. Strauss-Kahn capitalisait autour de lui les sympathies voire les intentions de vote d’un nombre très importants d’opposants ou de déçus de Nicolas Sarkozy. Sans cette notoriété dont il jouissait, sans ce destin national qui se dessinait au fur-et-à-mesure que l’échéance présidentielle approchait, l’on peut penser, comme semble le faire Jean-François Kahn, que ces évènements n’eussent pas suscité un tel concert de consternations.
Car, le patron du FMI à terre, c’est cet « espoir » qui s’envole, et peut-être avec lui celui de jours meilleurs. C’est ici qu’il y a une profonde escroquerie, et le vrai scandale de l’affaire « DSK » se trouve peut-être ici.
Car Dominique Strauss-Kahn n’était pas un véritable opposant à Nicolas Sarkozy. Ou, plutôt, s’il se posait peut-être en rival de l’homme, il n’en était nullement l’ennemi sur le plan des idées, bien au contraire. Ce que rappelle à bon escient Jérôme Leroy dans le magazine à tonalité satirique (ce qui le rend peut-être bien plus pertinent que tous les autres magazines politiques prétendument « sérieux ») « Causeur » dans un article intitulé « Moi aussi, je suis une victime de DSK » et sous titré « Un électeur de gauche raconte : il a subi une tournante idéologique ». Avec humour, le rédacteur rappelle toutes les trahisons, tous les renoncements de cette « gauche caviar » qui a abandonné les ouvriers pour servir les intérêts des grandes puissances financières. Sans forcément nous rejoindre sur les projets portés par la gauche « historique », que nous ne partageons bien évidemment pas, collectivisme, socialisme et République n’étant pas notre tasse de thé, nous saurons nous mettre au moins en accord : tout en prétendant parler en leur nom, la gauche a effectivement trahi les classes populaires (mais tout comme la droite gaulliste l’a fait en se prostituant corps et âmes auprès de la droite libérale).
Et c’est bien là toute l’escroquerie monumentale du Strauss-Kahnisme : avoir réussi à faire croire pendant des semaines que le patron du Fond Monétaire International pouvait incarner la vraie rupture avec le sarkozysme quand il s’agissait, à tous les points de vue, de son frère jumeau, de la même façon que le PS est le jumeau de gauche de l’UMP. Rien ne permet de croire que, si Strauss-Kahn avait réussi à voler la magistrature suprême à Nicolas Sarkozy, il eût changé la donne : bien au contraire, il y a tout lieu de penser que la même politique, sur pratiquement tous les plans, économique, sociétal, international, aurait été suivie.
Pourtant, nombre de nos compatriotes ont cru au mirage « DSK ». Si une telle entourloupe a pu exister, l’explication réside peut-être dans l’histoire politique de ces cinquante dernières années, elle-même fruit de la démocratie libérale.
En effet, si ce régime correspond le mieux à la civilisation consumériste et matérialiste (Bernanos aurait dit que la Démocratie est le régime politique du Capitalisme), alors il en importe les phénomènes sur le terrain politique. Et, suivant cette dynamiques, les combats politiques ont donc cessé progressivement d’être les luttes d’idées qui existaient sous la IIIème République (ce qui était déjà un mal et annonciateur de la suite) pour devenir progressivement des mises en concurrence de « produits » incarnés par des « stars », des « people. »
C’est la fameuse « peoplisation de la vie politique » ou « peoplitisation », pointée du doigt par nombres de politiques. Elle est donc la conséquence directe de la démocratie libérale et conduit progressivement à faire passer l’homme, ou plutôt l’icône médiatique, avant les idées.
C’est ce scandale là, qui est le vrai scandale, c’est là que devrait être l’indignation collective. L’éloignement des citoyens vis-à-vis de la responsabilité politique par la monopolisation du débat par les partis politiques, le centralisme, la technocratie, le suffrage mal réparti et concentré essentiellement au niveau national dans un vote de masse anonyme, sont autant d’éléments qui permettent d’expliquer cette dérive intrinsèque à la démocratie libérale.
La solution ne saurait donc se situer donc uniquement dans un grand coup de balai passé dans le personnel politique de notre pays comme feignent de croire quelques hommes ou femmes politiques : si les institutions ne sont pas assainies, les mêmes travers réapparaitront bien vite.
La première étape doit donc consister à l’instauration d’une monarchie, avec un roi au sommet de l’Etat disposant de véritables pouvoirs lui permettant d’agir pour nommer des hommes ou des femmes choisis non pas en fonction des campagnes de publicité mais en fonction de leurs compétences ou du bénéfique qu’ils apporteront à la France.
Et la deuxième étape doit être l’instauration d’une vraie démocratie, locale et enracinée, d’une démocratie équitable qui rende le personnel politique véritablement représentatif des citoyens et permette ainsi de court-circuiter les partis politiques, véritables agences de communication bien éloignées de l’intérêt général.
Quant aux déboires judiciaires d’un homme politique, soyons clairs : ils n’intéressent pas la politique au sens noble du terme. Et tant le sentiment d’impunité que celui de « solidarité de caste » auquel on assiste depuis plusieurs jours et qui sidère l’opinion et les médias américains ne sont en réalité que le sommet visible de l’iceberg.
Stéphane Piolenc