Prière pour le roi Louis XVI

Prononcée par le R.P. Jean-François Thomas, s.j. sur la place du Louvre (Paris Ier) devant l’église Saint Germain l’Auxerrois, le 21 janvier 2023

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi-soit-il.

En 1908, le jeune diplomate Paul Claudel découvre un entretien donné par le comte de Chambord en 1871 et il exprime son admiration dans son Journal, rapportant notamment ces paroles du Prince répondant à une question sur ce que serait sa politique : « Parfois on me demande quel sera mon programme, il est bien simple. C’est l’Évangile tout pur, sans en retrancher un iota, car j’ai la conviction profonde que l’Évangile est le code de gouvernement tout aussi bien que celui des individus. » Ce qui fut la manière de gouverner de saint Louis, transmis jusqu’à Henri V avec des monarques plus ou moins fidèles mais toujours attachés à cette tradition, connut son achèvement, son couronnement dans la mort chrétienne de Louis XVI, ici-même. Le Roi martyr a signé par son sang son amour de l’Évangile de son Maître.

Victime, durant tout son règne, d’une multitude de calomnies, de mensonges, de mépris, à commencer par ceux qui auraient dû être ses serviteurs, ses amis, ses proches par les liens du sang, il ne chercha jamais à rendre le mal pour le mal, comme il le souligne d’ailleurs, de façon humble et franche, dans son Testament. Aucun souverain n’est parfait dans son gouvernement, même lorsqu’il a à cœur de ne rechercher que le bien de ses sujets. En revanche, selon l’inspiration qui le guide et les grâces qui l’habitent, il vivra pour répondre au mieux à sa charge, non point pour sa propre gloire mais pour celle de Dieu et pour la grandeur du royaume qui lui est confié. Et sa mort sera la signature de la sincérité de sa foi.

Louis XVI a ainsi franchi les étapes le conduisant à une réelle sainteté, visible dans son abandon confiant et paisible au sein des multiples épreuves et à l’approche d’une mort ignominieuse. Il avait été choisi par Dieu pour connaître ce basculement de civilisation par lequel son royaume serait réduit à néant lorsque les vérités divines furent reniées. Il assista à la destruction du Droit divin, à la réduction horizontale de la société. Il monta sur le trône en un temps, déjà troublé, où tout dépendait du Ciel. Il en fut chassé au moment où tout, désormais, émanait de l’homme et remontait du peuple manipulé par des aristocraties embourgeoisées infidèles à leur vocation. Il savait que le Roi est une personnification de tous les peuples du royaume ; qu’il a pour devoir de maintenir ou de rétablir les mœurs, les libertés, les droits et les principes, tout simplement parce que, par l’onction sacrée, il est le principe du droit, non point par ses propres forces mais par son service du Roi de l’univers. Jamais plus que sur l’échafaud, Louis XVI ne fut véritable souverain. Cet échafaud fut son trône le plus glorieux, comme la Croix l’est pour Notre Sauveur. Cette heure tragique ne fut point celle de la désespérance, car le Roi croyait, au-dessus de cette révolution apocalyptique, à la vocation spécifique de la France.

Henri V exprimera plus tard de nouveau cette certitude, et nous pouvons l’entendre de nouveau aujourd’hui en ce qui regarde la France contemporaine : « […] Au-dessus des agitations de la politique, il y a une France qui souffre, une France qui ne veut pas périr, et qui ne périra pas ; car lorsque Dieu soumet une nation à de pareilles épreuves, c’est qu’il a encore sur elle de grands desseins. Sachons reconnaître aussi que l’abandon des principes est la vraie cause de nos désastres. Une nation chrétienne ne peut pas impunément déchirer les pages de son histoire, rompre la chaîne de ses traditions, inscrire en tête de sa constitution la négation des droits de Dieu, bannir toute pensée religieuse de ses codes et de son enseignement public. Dans ces conditions, elle ne fera jamais qu’une halte dans le désordre. ; elle oscillera perpétuellement entre le césarisme et l’anarchie, ces deux formes également honteuses des décadences païennes, et n’échappera pas au sort des peuples infidèles à leur mission. […] La parole est à la France et l’heure est à Dieu. » (Lettre à Philippe-Marie Joseph de Carayon-Latour, 8 mai 1871)

Louis XVI offrit sa vie en plein cœur d’une Révolution qui n’est point terminée. Alexis de Tocqueville considérera très tôt que toutes les révolutions qui éclatèrent un peu partout en Europe, et de nouveau en France au XIXe siècle, n’étaient que des reprises de feu régulières de celle initiée en 1789. Cela est vrai de la situation mondiale actuelle car les gouvernants s’inspirent tous, de près ou de loin, des principes sans Dieu éclos sur notre sol. Contrer cette habitude révolutionnaire, inscrite dans tous nos textes officiels et présente dans nos manières d’être et de penser, ce n’est point répondre au crime par d’autres crimes, aux abus par d’autres abus. Louis XVI s’est toujours gardé de l’esprit de revanche et de vengeance, se montrant ainsi vrai chrétien et juste roi. La restauration, si nécessaire, avant d’être celle du Trône, doit être celle des mœurs et de l’esprit religieux. Sinon, installer un souverain à l’image des monarchies constitutionnelles, ne servirait de rien et ne bouleverserait point le désordre révolutionnaire. Tout compromis doit être refusé.

Louis XVI a payé de sa personne son identité catholique et royale. Il n’a pas fléchi, n’a pas abjuré, n’a pas maudit. Il avait essayé de restaurer l’harmonie par le règne de la justice, mais il fut privé de ses pouvoirs. En revanche, son autorité demeura intacte, et le demeure encore, d’où la rage, jusqu’à aujourd’hui de ceux qui, illégitimement, occupent les sièges qu’ils ont accaparés. L’autorité ne s’achète pas. Elle est reconnue par les autres, telle celle de Notre Seigneur qui parlait avec autorité et qui, pourtant, refusa tout pouvoir humain. Louis XVI fut ce roi, bon pasteur, qui donna sa vie pour les brebis à lui confiées par le Sauveur. Depuis, nous sommes entre les mains de mercenaires, de faux bergers, de loups et de chacals déguisés.

Antoine Blanc de Saint-Bonnet termine sa Restauration française par ces mots : « Qu’il sera puissant, ce Roi, qui saura qu’il a charge d’âmes vis-à-vis du peuple, et, comme père, charge des intérêts du corps ! Qu’il sera puissant, ce Roi, le soutien de la Foi, l’exemple des aristocraties, le rêve de son peuple ! … Et que la France ne porte les yeux ni à droite ni à gauche ; c’est à elle que la Providence, dans sa haute bonté, a donné la Dynastie sans pareille… Dieu protège la France ! Il lui garde, à travers ses égarements, l’héritier légitime de ses soixante Rois… On n’apprend pas à régner, le poète n’apprend pas à écrire, ni le cœur à aimer : on règne ou l’on écrit comme on porte le cœur ! »

Louis XVI rendant ici le dernier soupir et s’élevant vers le Ciel, intercède désormais pour ses peuples. Il ne prend pas de repos dans l’éternité car il y demeure Roi et il connaît ses devoirs, et il a pitié de notre état de délabrement. Que notre présence ici ce matin ne soit pas simplement un geste mondain d’hommage, mais qu’elle nous donne l’enthousiasme de participer, comme nous le pouvons, à la restauration spirituelle et politique de ce qui fut le doux royaume de France et de Navarre.

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi-soit-il.