Le massacre de civils par les drones américains

Editorial du 22/8/2022

Le 29 août 2021, Zemarai Ahmadi rentre chez lui après sa journée. Il travaille dans une organisation d´aide humanitaire américaine à Kaboul. Il remplit des bidons d´eau pour sa famille et les met dans sa voiture avant d´arriver chez lui. Sans le savoir, cela fait six heures qu´il est suivi par des drones armés. Quand il rentre chez lui et gare sa voiture dans la cour, comme d´habitude, tous les enfants de la famille arrivent pour le saluer : « A chaque fois que Zemarai arrivait avec la voiture, les enfants se réjouissaient. Ils l´avait appelé papi. Ils criaient « papi arrive ! ». Ils se précipitaient dehors, ils trouvaient la voiture cool et ils rentraient toujours dedans. Ce jour-là, ils étaient aussi rentrés dans la voiture. » raconte Nasratullah qui était présent ce jour-là. C´est à ce moment que le drone a lancé le missile qui a fait exploser entièrement la voiture. Sept enfants de deux à douze ans ont été tués, ainsi que trois adultes. « Il y avait des enfants de deux et trois ans, ils étaient découpés en morceaux. » continue le beau-frère. Les soi-disant bombes sont restées sur place, c´était des bidons d´eau. Trois semaines après, quand le New York Times a soulevé les faits, l´ancien commandant Kenneth F. McKenzie a reconnu l´innocence des victimes et s’est excusé auprès de la famille…

Selon le site d´investigation américain The Intercept, 90 % des frappes de drones américains ratent leurs cibles. En Afghanistan, 2000 civils ont été tués par des attaques aériennes, dont 40 % d´enfants. La légitimité de ces attaques aériennes sont remises en cause dans le monde entier. L´assassinat à distance est mise en œuvre par des pilotes à l´autre bout du monde, qui derrière leur écran ont entre leur main un joystick, comme dans un jeu vidéo. La victime est mise à mort sans avoir pu se défendre, sans procès, sans justification et sans possibilité de rédemption. L´étiquette de Taliban ou d´Al-Qaïda semble être donnée de manière presque aléatoire, sans recours à des informations précises. Le statut de combattant ne brille pas non plus par sa clarté dans la guerre des drones : qui doit être considéré comme « combattant » et qui doit être considéré comme « civil » ? Un homme assis sur son balcon à prendre le thé ou un autre rentrant chez lui peuvent-ils être considérés comme combattants – et donc sont-il légitimement exécutables ? Le même problème se pose pour le statut de combattant chez les enfants, qui peuvent être mis à mort parce qu´ils portent une arme ou présente un risque pour l´adversaire. Encore faut-il différencier une personne qui représente un risque potentiel de celle qui représente un risque réel. L´universalité des droits de l´homme semblent aussi être remise en cause : peut-on faire la guerre au nom des droits de l´homme, tout en massacrant des innocents ? C´est contradictoire. Brandon Brayant, ancien pilote de drone (Air Force), a raconté aux journalistes de la chaîne allemande Panorama une opération près de Kandahar, en Afghanistan : « Quand le missile a explosé, je me souviens avoir pensé : c’était un enfant ? Et le pilote a dit : oui, mais ferme-la ! Alors je suis allé voir mon coordinateur qui a demandé aux analystes des vidéos, puis il a dit : OK, on a vu la vidéo et on a décidé que c´était un chien. »

Quand on veut être pointilleux sur les crimes de guerres, on ne peut pas s´arrêter seulement à l´Ukraine, mais il faut aussi condamner les crimes contre l´humanité dans les autres pays en guerre. Il n´y a aucune raison que les États-Unis fassent exception. La mise à mort par des drones est éthiquement très critiquable, car les « dégâts collatéraux » sont très importants pour des cibles terroristes trop souvent ratées. Le processus de l´assassinat ciblé est obscur, les victimes sont choisies parmi un catalogue élaboré par des personnes dont on ne sait rien. Cette guerre des drones est loin d´être transparente et donc encore loin du consentement international. Agir « contre l´intérêt américain » est un motif qui ne justifie pas encore de mettre à mort une personne en pleine rue ou devant chez elle, encore moins sans procès, tout être humain ayant le droit de disposer de sa propre vie, aussi longtemps qu’il ne met pas volontairement la vie d´autres personnes en danger.

Lynn Martin

Sources :