L’AVORTEMENT DANS LA CONSTITUTION

RENCONTRE AU SÉNAT LE 23 JANVIER 2023

Comme le sénateur Stéphane Ravier l’a rappelé dans son mot d’accueil, la salle Maunoury où s’est tenue la conférence du 23 janvier, est l’ancienne chapelle des Pairs, créée en 1845. Son décor peint, grandiose, rappelle que « si la République est laïque, la France est chrétienne », a-t-il précisé.

Le ton étant ainsi donné, face à un grand tableau représentant saint Louis, les quatre invités ont examiné successivement, sous des angles complémentaires, la possibilité de faire entrer l’avortement, si improprement désignée « interruption » de grossesse, dans la Constitution de la France.

Au lieu de se porter au secours des femmes qui « voudraient bien le garder mais ne le peuvent pas », comme elles le disent si souvent, l’État resserre l’étau sur l’enfant à naître. Laurence Trochu rappelle les mots de Pierre Simon : « C’est la sexualité qui fait la politique » et « la vie, ce matériau qui se gère ». La présidente du Mouvement conservateur a d’abord montré que, loin d’un véritable respect des femmes, ce renforcement de la loi viendrait éteindre leur parole de souffrance. Faire du drame un tabou, c’est nier leur capacité de faire un choix éclairé. Au lieu de ce vacarme qui s’apparente à une tactique politique, que propose l’État en matière de prévention, d’aide, d’écoute ? Rien.

Que ce soit une sénatrice écologiste, Mélanie Vogel, qui ait déposé cette proposition de loi ouvre une réflexion profonde sur l’écologie… humaine. Quel paradoxe, quelle distorsion, quel mensonge ! Il y a là un grand chantier pour reconquérir cette belle notion pervertie.

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, il n’y a pas lieu d’importer des États-Unis une prétendue menace qui n’a pas d’effet en France, dans notre système extrêmement différent, non fédéral. Cette « hystérisation du débat » est entretenue et coupable.

Rappelons qu’au contraire, en France, l’avortement n’a cessé d’être renforcé (délit d’entrave, remboursement à 100 % par l’Assurance Maladie, suppression de la notion de détresse, extension à 14 semaines du délai légal, suppression du délai de réflexion…).

Qu’apporterait l’inscription de ce droit dans la Constitution, alors que tout l’appareil législatif offre déjà toute latitude pour faire disparaître une grossesse non désirée ? Rien. D’une « inutilité juridique » complète parce que ce combat n’est pas législatif, mais d’abord politique et de communication, ce n’est que du bruit autour d’un gouvernement qui a échoué partout, et qui sauve la face avec une prétendue avancée aux yeux de certains de ses électeurs et soutiens potentiels. « C’est du clientélisme et de l’affichage », lance Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public. Laurence Trochu y voit même un aveu de faiblesse d’un gouvernement incapable de réformer le pays.

Pire, l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution contreviendrait à d’autres articles, comme l’article 16 de la Loi Veil qui mentionne « la dignité de la personne  » et « le respect de la vie dès son commencement ». « Un « travail bâclé », estime Anne-Marie Le Pourhiet. Ironie et incohérence totale quand l’on sait que cet article, s’il était voté, se placerait juste après l’article 66-1 qui stipule que « nul ne doit être soumis à la peine de mort ». Ironie et infinie tristesse.

Guillaume Drago ne mâche pas ses mots quand il rappelle : « on ne fait pas n’importe quoi avec la Constitution et que la sagesse doit s’opposer à cette dérive parlementaire. « Toucher à la loi d’une main tremblante » et s’opposer fermement à un projet qui n’est pas responsable. On ne joue pas avec la Constitution en fonction des desiderata de minorités agissantes. »

Le Professeur de droit public montre également qu’il sera impossible de faire cohabiter cet article avec la liberté d’expression, protégée par la Constitution. Alors ?

Alors, pourquoi s’acharner à inscrire le droit à l’avortement en lettres d’or dans la Constitution ? Outre des raisons politiques (appropriation par la gauche d’une loi portée en 1975 par la droite, calcul électoral et victoire sociétale pour un gouvernement en faillite), Gregor Puppinck avance des raisons philosophiques : cette sacralisation de l’avortement « impose une conception matérialiste de la condition humaine et marquerait profondément l’âme du pays« . Le saviez-vous ? Le directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) évoque un sondage qui montre que 30 % des 18-24 ans sont opposés à l’avortement. Même chose chez les Français entre 25 et 34 ans (32 %), alors que leurs aînés de plus de 50 ans ne sont que 16 % à s’opposer à la liberté de l’avortement. Voilà qui donne le courage de s’opposer à une classe d’âge sur le déclin qui a déjà tellement abîmé la société !

Plus grave à ses yeux est le péril qui pèserait désormais sur la clause de conscience et la liberté d’expression. On ne pourra s’opposer à une valeur de la république. Ce serait considéré comme une entrave. Un médecin ou le personnel médical ne pourra plus invoquer la liberté de conscience pour ne pas pratiquer ou participer à un avortement ; on lui rappellerait la liberté de changer de métier, à l’instar de ce qui se passe pour les pharmaciens.

« Ce n’est pas le rejet social lié l’IVG qui stigmatise les femmes, c’est l’IVG elle-même qui est la souffrance. » Attendons nous à une augmentation du nombre d’IVG et non à sa limitation. Alors que nos voisins européens voient le ratio nombre d’avortements sur nombre de naissances baisser, la France atteint le maximum avec 298 avortements pour 1000 naissances.

En Hongrie de 2010 à 2021, le nombre d’avortement a été divisé par deux sans changer la loi, uniquement par une politique familiale généreuse.

Un telle option en faveur de la vie s’oppose aux choix actuels d’immigration massive pour combler les berceaux vides.

Après avoir mis en garde contre le danger de renforcer le pouvoir des juges pour arbitrer tant d’incohérences, Anne-Marie Le Pourhiet lance à l’issue des questions du public : « Faire entrer les chambres à coucher dans la Constitution est infantile », « la République, c’est la « chose commune », ce qui nous transcende. La Constitution n’est pas un supermarché ou chacun vient faire ses emplettes, ce serait une privatisation, un tribalisme constitutionnel très inquiétant ». Le but ultime de la Constitution est de servir l’homme. Prenons garde à ne pas aboutir à une grave inversion de l’esprit du texte.

Rendez-vous dans les débats du 25 janvier au 1er février. Espérons que les sénateurs se rangeront aux côtés de M. Stéphane Ravier qui montre un grand courage en organisant ces échanges « plus profonds que dans l’hémicycle et les plateaux de télévision, pour sortir de l’anathème et de l’émotion. »

Une réflexion personnelle pour finir. En passant les portes du Sénat le 23 janvier, je me souvenais d’un rendez-vous dans le même lieu 30 ans plus tôt avec le Sénateur Seillier. A l’issue d’une prière publique organisée par le Docteur Dor dans le hall d’une clinique parisienne où de nombreux avortements étaient déjà pratiqués, tous les participants à cette manifestation pacifique, dont j’étais, enceinte de 6 mois, avaient été emmenés en garde à vue : grande filiation, lacets de chaussures et alliances retirés, bouclage dans les cellules parfumées à la pisse de clochard. C’était une première étape significative dans la répression du droit d’expression.

30 ans de combats pour la Vie menés sous toutes ses formes : actions chocs, livres, aides aux mères, prières, manifestations et marches, pèlerinages et émissions de radio et de télévision, débats… Pouvons-nous dire que nos combats ont échoué, qu’ils ont été mal menés, que tout est perdu ?

Ce serait faux, injuste et céder à la désespérance dont le démon se délecte.

Ce combat est eschatologique, tout l’indique aujourd’hui clairement. Alors, plus que jamais, gardons l’espérance, menons-le en fidèles soldats et « Dieu donnera la victoire ».

Valérie d’Aubigny