L’Alliance Royale sera toujours réticente à faire de l’histoire. D’abord, bien d’autres associations le font bien mieux qu’elle. Et elle ne veut pas donner, en tant que formation politique résolument tournée vers l’avenir, une image passéiste. Mais il y a des événements historiques qui méritent tout de même d’être politiquement soulignés. Et c’est le cas pour Bouvines dont nous allons fêter cette année, le 27 juillet pour être précis, le 800ème anniversaire.
Alors, avant d’en tirer des conclusions politiques, revenons, une fois n’est pas coutume, sur cette page admirable de notre histoire.
A la fin du XIIème siècle, le royaume de France se trouvait dans une situation critique. Les Plantagenêt régnaient sur un vaste et puissant empire transfrontalier comprenant l’Angleterre, l’Anjou, le Maine, l’Aquitaine et le Poitou ; bien que l’Ouest de la France relevait encore de la suzeraineté capétienne, il échappait à l’autorité du roi de France qu’il menaçait gravement. Au Nord, les Flamands, eux-aussi vassaux du roi de France, se tournaient de plus en plus vers les Anglais avec qui ils commerçaient abondamment. La question des Flandres empoisonnera la politique française pendant des siècles. A l’Est, les Ottoniens régnaient sur le Saint Empire, puissance considérable qui contestait l’autorité du Pape et ne revendiquaient rien de moins que l’héritage de Charlemagne ; toute la partie orientale de la Gaule, amputée par le traité de Verdun en 843, lui appartenait, et il faudra encore des siècles pour que la France revienne enfin dans ses frontières naturelles. Enfin, au Sud, le comté de Toulouse, excité par la révolte des Albigeois, risquait de faire sécession, ce qui aurait constitué pour le royaume capétien une menace insupportable. Si bien qu’au tournant des années 1200, la France de Philippe Auguste était coincée entre deux empires et déstabilisée au Nord comme au Sud.
Nous sommes en 1214. Jean Sans Terre, roi d’Angleterre, avait été déchu de ses possessions françaises par Philippe II Auguste, sous le prétexte d’une conduite déshonorante. Mais le roi d’Angleterre n’allait pas en rester là. La Flandre penchait de son côté. L’empire lorgnait sur la France, selon une « West-politik » qui perdurera jusqu’au XXème siècle. Les trois princes, Jean-Sans-Terre, Ferrand de Flandres et Othon de Brunswick, se coalisèrent donc pour dépecer la France et firent serment de mettre à mort Philippe Auguste.
La France est alors en pleine transformation. Les guerres féodales ont peu ou prou disparu. Le pouvoir royal s’est affermi, ses conseillers ne sont plus des grands feudataires mais des juristes qui préfigurent un Etat moderne. Le servage a été aboli et les privilèges de corporations se répandent. Les villes libres fleurissent, véritables démocraties locales, si l’on permet cet anachronisme. Les forêts sont défrichées, les grands chantiers abondent et les cathédrales s’élèvent. Les universités prospèrent et le savoir se répand. Ce sera le siècle de Saint Louis et de Saint Thomas d’Aquin. C’est cette France-là que les coalisés veulent abattre.
Les Anglais débarquent donc en Aquitaine au début de l’année 1214 et remontent vers le Nord. Philippe Auguste part en campagne contre eux, mais, comprenant que l’ennemi veut l’attirer loin de la frontière Nord, il laisse une bonne partie de son armée aux ordres de son fils, le futur Louis VIII, époux de Blanche de Castille et bientôt père de Saint-Louis qui naîtra en août de cette même année. Le 2 juillet, les Anglais sont battus à La Roche aux Moines par le jeune prince. Mais, au Nord, les coalisés font mouvement : c’est l’armée de Othon, renforcée d’un contingent anglais aux ordre du comte de Salisbury, d’une troupe flamande, dont les fameux piquiers, redoutable infanterie, sous la bannière de Ferrand, pourtant vassal du roi capétien, et d’un parti boulonnais marchant derrière Renaud de Dammartin, autre traitre à son roi. Le roi de France ne dispose pas de telles forces, d’autant qu’une bonne partie de ses troupes est encore sur la Loire. Avec ce qui lui reste, il remonte vers le nord pour se porter au-devant de l’ennemi. Sur son passage, les communes lui envoient ses milices, si bien que l’armée gonfle au fur et à mesure qu’elle avance.
Le 26 juillet, l’armée royale traverse le pont de Bouvines, près de Lille, et se déploie de l’autre côté, mais l’ennemi est encore loin. Le 27 juillet est un dimanche, et il n’est pas coutume de combattre ce jour-là. Il est donc décidé de retraverser la rivière pour se mettre à l’abri ce qui prendra plusieurs heures. Mais, les éclaireurs apportent des mauvaises nouvelles : les coalisés, ne respectant pas la coutume dominicale, ont fait mouvement pour attaquer. Bientôt, l’arrière garde champenoise et bourguignonne est violemment accrochée par les Flamands. On fait donc volte-face. Ceux-qui n’ont pas encore passé le pont se rangent en bataille tandis que les troupes ayant déjà franchi retraversent aussi vite que l’étroitesse du pont le permet.
Les Français sont bien moins nombreux que les coalisés. La bataille s’engage avec une extrême brutalité. La ligne menace de rompre à plusieurs reprises. Le roi lui-même est désarçonné et les fantassins ennemis se ruent sur lui pour trouver, avec leur dague, un défaut dans le haubert. Dégagé par ses chevaliers, le roi remonte à cheval. Les Français sont furieux. Guillaume des Barres, un géant, aperçoit dans la mêlée les insignes impériaux. Il charge suivi par d’autres Français. Il s’approche assez prêt de l’empereur et lui assène des coups d’épée. Celui-ci, paniqué, tourne bride et s’enfuit au galop, arrachant ses insignes. Dans le camp coalisé, c’est la débandade. Anglais et impériaux sont défaits, et les Flamands, après une ultime résistance finissent pas se rendre.
Le dimanche de Bouvines est une page glorieuse de notre histoire militaire. Mais elle est surtout un tournant. Le royaume peut respirer. Pour la première fois, des milices communales ont rejoint en masse la bannière du roi, figurant ainsi ce qu’il convient d’appeler la première victoire nationale. Le prestige du roi est immense. A partir de Philippe Auguste, nul ne contestera plus la souveraineté de la couronne. La France est définitivement sortie de la féodalité, même si elle en conservera longtemps des séquelles, et l’Etat moderne va pouvoir émerger.
Bouvines est, selon le mot de l’historien Antoine Hadengue, une « victoire créatrice ». Et nous faisons nôtre cette affirmation. Car elle est bien plus qu’une victoire militaire, elle est un tournant de l’histoire de France. La France ne date pas de Bouvines, bien entendu. Elle remonte dans sa substance à l’époque gauloise, elle naît comme entité politique des fonds baptismaux de Reims. Mais, le 27 juillet 1214, la France est devenu une nation à part entière.
Voilà pourquoi cette victoire fondatrice doit être fêtée, bien plus que le 14 juillet de triste mémoire. D’un côté, en 1214, un peuple uni faisant face à une menace extérieure qui voulait démembrer la France. De l’autre, en 1789, un épisode barbare et sanguinaire, scellant une rupture profonde au sein de la nation, et sur lequel la République a fondé sa propagande. Si le 27 juillet 1214 est une victoire créatrice, le 14 juillet 1789 est, lui, une émeute destructrice. Voilà la réalité. Amis lecteurs, n’ayons pas peur de remettre en cause les tabous de la République et accueillons, comme il se doit, la commémoration de l’éclatante victoire de Bouvines. Si le 15 août est la fête patronale de la France, le 27 juillet, lui, mérite d’en devenir la fête nationale. C’est pourquoi l’Alliance Royale sera présente à Bouvines le 27 juillet 2014 pour commémorer cette « victoire créatrice ».